Salles histoires
Episode 2 : la Rotonde
1970 : Si Gouloumès a été la salle où l’Histoire du basket manceau a pris forme (sous l’égide de son emblématique et regretté président Bernard GASNAL), la Rotonde est celle où elle s’est forgée.
Entre les 2 salles, il y a un monde !
Ce sont 2 conceptions qui s’opposent, réunies pourtant par un ressort commun, celui de donner au club les moyens de son ambition nationale.
La Rotonde, c’est le contrepied de Gouloumès.
En ces années 70 où l’automobile atteint son firmament, elle offre un accès facile aux conducteurs, en périphérie de la ville, face à l’image mondiale de la capitale Sarthoise : l’entrée du circuit des 24 heures. Elle offre également un parking de grande taille ! Plus besoin de serpenter dans les petites rues des Sablons pour trouver le précieux sésame.
Par contre, à la sortie, c’est un peu la foire d’empoigne ! Une seule route, étroite, pour vider tout un parking. C’est un peu juste ! Il faut être patient ou alors, comme aux 24 heures de l’époque, être parmi les premiers à bondir derrière son volant pour éviter le bouchon. Mon père avait sa stratégie. Il se garait sur l’arrière de la salle (car, à la différence de Gouloumès, l’accès pouvait se faire par plusieurs portes), à une distance minimale de nos places d’abonnés et, dès le coup de sifflet final, bondissait en m’intimant l’ordre de le suivre dans une sorte de course qui m’amenait successivement à pousser les deux doubles portes vitrées de la sortie puis à escalader les quelques marches qui nous séparaient du stationnement pour m’engouffrer, haletant, dans la voiture qui, à une vitesse folle (du moins à mes yeux d’enfants) gagnait enfin la sortie. Ouf !
Pourquoi partir si vite me direz-vous ? Ça ne fait pas très amoureux du basket ! Détrompez-vous ! Dans ces années 70, n’oubliez pas qu’Internet n’existait pas… pas plus que les chaînes d’infos TV. Seule la radio… et encore en grandes ondes… permettait de connaître les résultats ! Début du match à 20h30. Fin du match à 22h15. Première chance : Europe 1 à 22h30. Deuxième et dernière chance : France Inter à 23h… Et comme on captait de façon irrégulière dans les voitures…. et bien il fallait impérativement être de retour au domicile pour 23h dernier délai. Ajoutez 25 minutes de trajet… et vous l’aurez compris tout était dans le timing…. Sinon ? L’horreur ! Pas de journal le dimanche matin ! Il fallait attendre le lundi pour savoir, enfin, quels étaient les scores de nos adversaires ! Car, ne l’oubliez pas non plus. Il n’y avait pas de play-offs ! Le titre était décerné à la fin de la saison régulière ! Pas de joker ! Pas question de se rater une fois ou deux !
Mais revenons à la Rotonde…
Enorme, immense, magnifique !
Quitter Gouloumès pour y entrer c’était déjà changer de dimension. Changer de conception. Car, attention, elle a permis d’accueillir aux grandes heures de l’Histoire du club plus de spectateurs qu’Antarès ne peut le faire aujourd’hui ! On s’est réunis à près de 8 000 pour y célébrer les premiers titres de champion de France !
Une structure unique (ou presque) pour l’époque. Une armature bois en coupole équipée d’un éclairage performant. Un parquet démontable. Des panneaux mobiles sur structures métalliques incurvées…Et surtout 5 500 places en tribunes mobiles également qui, sur structure aluminium et bois, offraient à chaque spectateur son propre siège en plastique jaune doré souple et rigide à la fois. Un confort luxueux. Un espace inouï. Une salle à l’image du club, à vocation nationale.
Car ce SCM-là avait les dents longues. Une ambition. Celle de briller au firmament du basket français. Les premiers pas furent maladroits. En accueillant à l’automne 1970 l’équipe de BERCK (dans le Chnord), l’inauguration devait être une fête. Elle sera un pétard mouillé. Les promus donnaient la leçon… avant de s’emparer du titre. On découvrait les frères GALLE (Jean sur le banc et Pierre aux commandes sur le terrain), mais aussi CAULIER, PLATTEAU, VEROVE (Yves-Marie…le père…dans la famille des VEROVE), DOBBELS (l’actuel coach de SALYERS à Orchies), RACZ et 2 américains hors normes : un pivot black, CHEEKS et un ailier fort blanc, GARDNER… qui allaient signer le championnat de leur empreinte.
Nous, on ne le savait pas déjà… mais déjà… on regrettait Gouloumès pour sa pression, sa chaleur !!! Les 3 000 spectateurs de ce premier match semblaient un peu perdus dans cette enceinte que l’on avait imaginée pour accueillir aussi des matchs de boxe, mais qui, à l’heure du premier combat, avaient manqué de punch !
L’histoire pourtant allait trouver ses marques dans ce bateau de bois.
Les mordus du basket étaient peu à peu rejoints par des curieux. La sortie du samedi soir à la Rotonde (comme à Antarès aujourd’hui) devenait la sortie familiale d’une ville de province en mal d’émotions sportives. Les enfants étaient nombreux et pouvaient même, à la fin du match, s’en donner à cœur joie en dribblant, en tirant sur le même parquet, sur les mêmes panneaux que ceux des joueurs. Une ambiance cour d’école. Un vrai moment de convivialité. Personne pour vous indiquer la sortie à atteindre au pas de course quand on n’est pas VIP. Un panneau de marque affichant encore, une demi-heure après la fin du match, le score de la rencontre. Ah Antarès… si tu savais ce que tu rates !!!
Mais avant les titres nationaux, avant la consécration de toute une ville, vint immédiatement la reconnaissance fédérale.
A peine ouverte, cette nouvelle salle accueillait donc l’équipe de France à l’occasion du pré-championnat d’Europe, du 30 Avril au 4 Mai 1971. Cinq jours de basket international non-stop dans une salle flambant neuve. Une sorte de baptême à l’eau de vie pour cette Rotonde tout juste née.
Et aux côtés de l’équipe de France les équipes d’Ecosse, de Suisse, de Tchécoslovaquie et de Grèce. Les 12 plus beaux noms du basket national réunis sous le maillot bleu et devant mon regard d’enfant, les yeux grands ouverts. Le temps des premiers autographes. Des sourires bananes. Du bonheur de participer à un moment, forcément, inoubliable.
Je ne peux pas ne pas les citer ces gladiateurs venus chercher à la Rotonde une qualification pour le tournoi final d’ESSEN. Dirigée par Joe JAUNAY, le « manager » (c’était le terme de l’époque), cette équipe bleue blanc rouge était tout de même sacrément verte. 4 Villeurbannais en étaient l’ossature. Alain GILLES (le capitaine), une légende, un symbole, 120 sélections à cette date, Michel LE RAY (un poste 2 dirait-on aujourd’hui de 107 sélections) un battant au cœur énorme, Gérard LESPINASSE un ailier rapide et percutant et Alain DURAND, un double mètre intérieur toujours présent, dur au contact. 3 Nordistes estampillés complétaient la liste. 2 Denaisiens, Daniel LEDENT et Jean-Pierre STAELENS (les rotations de LERAY et LESPINASSE… quand ce n’était pas l’inverse) et 1 petit nouveau, propulsé par la saison extraordinaire de BERCK, Pierre GALLE (le 3ème meneur). Pour l’équilibre, mais surtout pour le talent, JAUNAY avait aussi sélectionné 2 Sudistes, les Antibois Jean-Claude BONATO (au bras roulé ravageur) et Jacques CACHEMIRE (sans doute un archétype du basketteur des années futures, adroit, vif, rapide, explosif). Et pour compléter la liste : Charles TASSIN (le meneur de Caen, un bagarreur au caractère bien trempé, le « remplaçant » de GILLES), Michel LONGUEVILLE (2m04), l’intérieur fétiche du Racing Club de France (qui terminera d’ailleurs le tournoi avec le titre de Meilleur Joueur… MVP si vous préférez), et, le local… Claude GASNAL (22 ans, 2 m, 23 sélections du SCM Le Mans) !!!
(Ci-dessous : Un lien utile pour ceux qui veulent retrouver les carrières de ces internationaux)
http://www.internationaux-basket.fr/index.php?PHPSESSID=kide1bl32g05o04vehh4co4av3
Il fallait prendre une des 2 premières places pour se qualifier. Tous les avis les mieux informés avaient déjà pronostiqué que ce devait être la France et la Grèce qui empocheraient le jackpot. Et pour une fois, si les Français firent le métier avec brio, en remportant leurs 4 matchs et finissant invaincus, la surprise fut hellène. Pourtant conduits par le meilleur scoreur du tournoi, Georgios KOLOKYTHAS, les Grecs s’empêtrèrent les pieds dans le tapis, laissant à la Tchécoslovaquie le droit d’empocher le second billet. Ce fut sans doute l’une des rares fois où la Grèce ne répondit pas présente à un tournoi européen. Ce fut surtout pour moi l’occasion d’assister à l’une des plus belles bagarres que le Basket m’ait permis de vivre. Imaginez… GRECE / SUISSE. Sur le papier… Y a pas photo. Même chez Betclic (si les paris sportifs avaient existé), on aurait eu une côte pour une victoire suisse où personne n’aurait misé le moindre franc (suisse… bien sûr). Et là, contre toute attente, les Helvètes ont terrassé les Hellènes. Furieux, ceux-ci se sont emportés contre absolument tout le monde : les arbitres, les officiels de la table, les membres du service d’ordre et avant tout, leurs adversaires suisses. Les bouteilles d’eau ont volé, les gifles aussi, quelques coups de pied et cerise sur le gâteau, une course poursuite version chasse à l’homme dans toute la Rotonde. J’ai encore le souvenir du meneur de jeu suisse, passant en courant juste à côté de moi en gravissant quatre à quatre les marches des gradins poursuivi par un grec fermement décidé à lui administrer une raclée. Surréaliste !
Il fallait que la Rotonde obtienne ses lettres de noblesse, entre dans l’Histoire du Basket ! C’était fait !
Mais plus encore que l’équipe de France, c’était au SCM d’écrire sa propre histoire dans ce lieu.
Raconter la longue quête qui va finalement conduire à 2 titres de champions de France n’est pas le but de ces quelques lignes. Le site officiel le fait très bien dans sa partie Historique.
http://www.msb.fr/index.php/club/historique
Par contre, j’aimerais vous raconter ici la ferveur que ce club, le SCM, a su générer, vous faire part de quelques anecdotes aussi qui ont accompagné la grande Histoire… Bref, vous faire vivre un peu de la petite Histoire du SCM.
Car voilà. Malgré les titres récents, malgré les moments de joie intense que le MSB a su nous procurer… Jamais au grand jamais l’osmose n’a atteint ce que le SCM a su faire vivre à ses supporters.
Imaginez… La Rotonde remplie comme un œuf ! 8 000 spectateurs… dont 2 000 assis dans les marches des gradins… et 3 000 autres installés dans les salles annexes du parc des expositions, suivant les matchs de la consécration sur écrans géants en circuit fermé. !!!
Imaginez… Un bruit de tonnerre dû aux frappements des pieds sur les travées en aluminium et bois résonnant dans cette coupole comme 2 Meilleraies réunies ! Un vacarme qui à l’image d’une ola se propageait de tribune en tribune comme une onde de choc ! Mes pieds en tremblent encore !
Imaginez… Un nuage blafard qui, petit à petit, recouvrait les projecteurs ! On avait le droit de fumer dans le bateau !!! Ce que l’on ne se gênait pas de faire, à la pause notamment, derrière les tribunes, sur ce bitume noir cimetière des Gitanes, près de l’une des buvettes installées dans les coursives circulaires du navire.
Imaginez… Un public qui poussait comme un seul homme son équipe dans le money time aux cris d’ « Allez Le Mans, Allez Le Mans » !!! Un public vociférant contre les décisions injustes et contestables du corps arbitral... invitant les deux tenants du sifflet à soulager au plus vite des envies pressantes… accompagnant parfois leur sortie de noms d’oiseaux exotiques ou de lancers de programmes en papier chiffonné, obligeant le service d’ordre du club à un encadrement rapproché jusqu’aux vestiaires.
Imaginez… Ce même public avait ses têtes de turcs ! Tous ces joueurs adverses qui, au lieu de la jouer modeste, osaient se faire remarquer ou, pire, nous toisaient ostensiblement comme une provocation. Parmi eux, Roger DUQUESNOY, le géant vert du Béarn flanqué de son meneur arrogant (mais talentueux) Alain LARROUQUIS (le père de…), Georges VESTRIS, le Tourangeau qui rejoindra le CSP LIMOGES, club où a évolué celui qui était sans doute le plus détestable de tous, Richard DACOURY (à mes yeux d’enfant, ça va de soi… il y a prescription depuis).
Imaginez… Une ferveur autour de ce ballon orange qui a été jusqu’à rassembler plus de 4 000 personnes dans ce beau bateau pour un match entre l’Avenir de Saint Pavin et le CO Saint-Brieuc pour une éventuelle accession en Pro B de l’époque (avec dans les rangs du patro manceau un certain Willy WATSON qui pendant 2 saisons auparavant avait porté les couleurs du SCM).
Imaginez… des géants du basket international qui, à l’occasion d’un autre tournoi pré-européen, sont venus tester le parquet de la Rotonde ! La paire grecque GIANNAKIS, GALLIS ou encore l’immense, le sublime SABONIS… tous sont passés par Le Mans, par cette salle, ce temple du Basket Sarthois.
Imaginez !!! Mais est-ce seulement imaginable ???
Je vis aujourd’hui avec vous les mêmes émotions à Antarès.
SCM ou MSB peu importe finalement. Les bannières sont bel et bien pendues côte à côte. L’Histoire s’est poursuivie. Le navire a changé. L’immense bateau de bois a laissé sa place à un paquebot de luxe. Un écrin confortable, sans doute plus adapté à ce qu’est devenu le Basket, un sport-spectacle. Les Américains passent plus vite, posent moins longtemps leurs valises. Les Lloyd KING, les Bill CAIN n’auront jamais leur nom inscrit dans les cintres. C’est ainsi. Les animateurs de nos soirées ont leurs choix musicaux. Mais aucun d’entre eux ne remplacera dans mes souvenirs l’emblématique titre de QUEEN « We are the champions ». Ils essayent comme ils peuvent de mettre leurs pas dans les pas de leurs pères. Mais jamais, sauf si vous l’avez vécu, vous ne pourrez imaginer les frissons, les paupières gonflées, le bonheur intense, cette formidable émotion que la Rotonde nous a fait vivre lorsque Marcel GOMARD, le speaker, en 1978, depuis le centre du terrain a appelé « Messieurs les Champions de France, en place pour la présentation ».